Option Géopolitique - LA PUISSANCE CHINOISE, DE LA CONSTRUCTION À L'AFFIRMATION

Dessin de Glez, Burkina Faso, 2019
Le 3 juin 2019, à la veille du trentième anniversaire des massacres de la place Tiananmen, date du début de la répression de plusieurs mois qui avaient suivi ces massacres et fait plusieurs milliers de morts, plusieurs médias occidentaux comme RFI, l’Agence France Presse ou encore Courrier International pointaient du doigt les manoeuvres du gouvernement chinois et des officiels chinois à l’étranger (en premier lieu les ambassadeurs) pour éviter que le souvenir des massacres soit évoqué ou commémoré à l’étranger. Ainsi, le gouvernement de Xi Jinping n’hésite plus à prôner l’amnistie pour que “le peuple aille de l’avant” voir à justifier “une réponse correcte” et à tancer chaque collectivité locale étrangère qui tente de dresser sur son territoire un monument à la mémoire des personnes défuntes en juin 1989 à Pékin. Ainsi les autorités chinoises ont dénoncé rétroactivement la construction d’un monument des massacres de Tiananmen en Pologne en 1999 comme “inopportun et regrettable”. Si entre 1990 et 2010, la contestation de la répression semblait incontestable en Occident, le président français F. Mitterrand avait ainsi déclaré en juin 1989 au sujet des événements “un régime qui mitraille sa jeunesse n’a pas d’avenir”, depuis 2010, face à la puissance toujours imposante de la Chine, certains pays comme le Canada ou l’Australie, qui avaient largement dénoncé la répression dès l’été 1989, sont plus silencieux. Ce pays, autrefois colosse démographique aux pieds économiques et politiques d’argile s’impose comme un acteur central de la scène géopolitique mondiale depuis la fin des années 2000. Mais quels sont les facteurs de la puissance chinoise? Et quelles peuvent en être les limites? 
1. La Chine, troisième puissance mondiale
a. Une croissance économique exceptionnelle
Jusqu’au début des années 80, la Chine impressionne par son poids démographique et inquiète peu militaire autrement que dans la sphère asiatique. L’influence de la pensée politique chinoise, portée par les courants politiques maoïstes nombreux dans les années 1960 en Europe de l’Ouest (première publication du petit livre rouge de Mao en 1966) s’épuise dès 1975.  
La situation change au lendemain de la mort de Mao Zedong, le 9 septembre 1976, quand le parti communiste chinois, décide, tout en maintenant son contrôle politique sur la société par le maintien d’un régime communiste à parti unique, d’ouvrir partiellement l’économie nationale aux capitaux étrangers, au libéralisme et aux échanges mondiaux.
Cette politique de réformes, voulue et contrôlée par l’Etat, constitue un modèle de développement original.
Depuis trois décennies, la Chine connaît une croissance économique de l’ordre de 9 à 10 % par an, ce qui est considérable. Elle produit une grande partie des produits de consommation courante bon marché : vêtements, chaussures, jouets… Mais elle produit aussi des tracteurs, des téléphones portables, des lecteurs MP3, des ordinateurs portables et des téléviseurs.
Des « villes ateliers », spécialisées pour la plupart, sont réparties sur tout le littoral. Ainsi Suzhou produit 65 % des souris d’ordinateurs commercialisées dans le monde. Dans le secteur recherche et développement la Chine se situe au troisième rang derrière les Etats-Unis et le Japon.
Les infrastructures nécessaires à cette croissance ont fait l’objet de programmes ambitieux dans le domaine des télécommunications (Internet et téléphonie mobile), des équipements de transports (ports, aéroports et réseau ferré) sans oublier les réalisations gigantesques comme le barrage des trois gorges.
Dans l’enseignement supérieur, près de mille trois cents universités forment chaque année un demi-million d’ingénieurs.
b. Une grande puissance politique
Les accords qu’elle a signé pour la gestion des ressources en mer de Chine, sa participation au sommet de l’ASEAN en décembre 2005 en font une puissance locale incontournable.
Mais c’est aussi une puissance internationale : elle est l’un des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU et dispose à ce titre d’un droit de veto. Elle pèse également sur la scène internationale par son poids démographique, sa puissance militaire (elle dispose de l’arme nucléaire) et ses succès dans la conquête spatiale (le premier vol spatial habité date d’octobre 2OO3).
La participation des troupes chinoises aux opérations de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU (Haïti, Timor oriental, Liban, Soudan, Libéria et République démocratique du Congo) assoit son rôle international. L’organisation des jeux olympiques en 2008 conforte son poids grandissant de troisième puissance mondiale (depuis 2007).

c. Un mode de développement original
De 1949 à la fin des années 70, le maoïsme, régime marxiste-léniniste dogmatique, a mené plusieurs fois la Chine au bord du désastre, notamment entre 1958 et 1961, période du « Grand bond en avant » qui est accompagnée d’une terrible famine.
A la fin des années 70, Deng Xiaoping engage son pays dans une politique d’ouverture au monde, de modernisation de l’économie et encourage l’initiative individuelle. A la fin des années 80, les entreprises privées, chinoises ou étrangères, sont invitées à jouer un rôle essentiel dans le développement économique. Et dans ce nouveau contexte, ce sont les classes moyennes et non prolétariennes qui constituent la priorité du régime.
Jiang Zemin puis Hu Jintao renforcent cette orientation nouvelle. Ainsi, c’est le parti communiste chinois, seul autorisé, qui a engagé le pays dans la voie du libéralisme économique.

2. La Chine dans la mondialisation
a.  Une façade maritime dynamique
La bande côtière de la mer de Chine, de Shenyang à Guangzhou est la façade maritime la plus active du monde. Shanghai est devenu en 2005 le premier port du monde et six autres ports chinois figurent dans les dix premiers du monde pour un total de 1650 millions de tonnes en 2006. Ces ports disposent d’équipements ultramodernes notamment pour la gestion des conteneurs et les aménagements industrialo-portuaires sont particulièrement importants.
Cette façade concentre 6o % de la production industrielle, reçoit 85 % des investissements étrangers et assure 90 % des échanges extérieurs. Trois aires métropolitaines particulièrement importantes émergent de cet ensemble : Beijing-Tianjin, Shanghaï-Hangzhou et Guangzhou-Hong kong. Shanghai apparaît de plus en plus comme une ville-monde avec le quartier nouveau de Pudong, véritable centre décisionnel ou le port en eau profonde en construction sur les îles Yangshan reliées à la côte (à Guoyan) par un pont maritime de trente-deux kilomètres.
b. Un État attractif
La Chine est devenue en trente ans l’atelier du monde, ce phénomène s’explique par plusieurs facteurs :
- la présence d’une main-d’œuvre nombreuse, qualifiée, travailleuse et peu coûteuse ;
- l’existence de ZES (Zones Economiques Spéciales) répandues surtout au sud du littoral mais qui s’étendent aujourd’hui vers l’intérieur, ces zones offrent une fiscalité particulièrement attractive dont ont cherché à profiter de nombreuses entreprises étrangères ;
- la présence d’un marché énorme intérieur : avec 1,3 milliard d’individus, il est le plus important de la planète.
La mainmise du parti communiste sur le fonctionnement de l’Etat et sur les orientations économiques garantit une grande stabilité dans les objectifs de développement et une totale paix sociale. Enfin la présence de la grande place bancaire et boursière que constitue Hong Kong place les entreprises implantées en Chine au cœur de la mondialisation financière.
c. La puissance des échanges
En 2001, la Chine est devenue membre de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Cette adhésion a multiplié presque par trois ses échanges avec le reste du monde. Ses principaux partenaires commerciaux sont les autres Etats d’Asie, les Etats-Unis et l’Union Européenne. Le volume total des exportations s’établit à 683 milliards de dollars et les importations à 597 milliards de dollars (chiffres 2005). La balance commerciale est donc excédentaire de 86 milliards de dollars.
Aux exportations on trouve toute la gamme des produits manufacturés, notamment de haute technologie mais aussi un volume important de contrefaçons. Aux importations des matières premières, des produits énergétiques, en particulier du pétrole et des produits alimentaires.
La Chine est aussi un récepteur privilégié d’IDE mais inversement les investissements chinois à l’étranger ont été multipliés par 10 entre 1990 et 2003. Les pays en voie de développement, en particulier d’Afrique sont la cible privilégiée des capitaux chinois.
3. Les inégalités régionales
a. La Chine maritime
C’est le cœur économique de la Chine. Le salaire horaire y est de 30 à 50 % supérieur aux autres régions et la croissance du PIB deux fois plus importante. Cette Chine maritime abrite près d’un tiers de la population chinoise, c’est là que se développe une bourgeoisie entreprenariale et une classe moyenne aisée avide de consommation et en quête d’occidentalisation : entreprises de restauration rapide et night clubs séduisent de plus en plus une jeunesse en rupture avec la culture traditionnelle.
Avide de voyages à l’étranger (20 millions de touristes sortants en 2004), ces classes moyennes représentent entre 130 et 200 millions d’individus.
 
Une classe moyenne en extension
b. Les régions intérieures peuplées
Shaanxi, Sichuan, Hunan et Yunnan représentent la Chine de l’intérieur, peuplée, largement agricole mais avec des pôles industriels en rapide développement (Chengdu et Chongqing) car la main-d’œuvre y est encore moins coûteuse que sur la façade maritime.
Wuhan, ancien gros centre sidérurgique a été choisi par le groupe français PSA pour y installer son usine, accompagné de ses équipementiers. C’est de cette Chine de l’intérieur que proviennent les migrants qui s’emploient sur les chantiers des grandes métropoles dans des conditions de travail, de salaires et de logement bien éloignées de l’idéal socialiste, soumis à la précarité et exploités.
La fracture sociale se creuse de jour en jour entre ceux qui profitent du miracle économique et les laissés-pour-compte. L’indice de Gini, qui mesure les écarts de revenus, s’établit à 0,47 ce qui fait de la Chine un pays particulièrement inégalitaire.
c. La Chine de l'Ouest
Elle cumule tous les handicaps et reste à l’écart du processus de développement. Le PIB par habitant y est quatre à cinq fois inférieur à celui de la façade littorale. Peu peuplée, la région autonome du Xingjiang constitue un réservoir d’espace et de matières premières, du pétrole principalement.
Mais peuplée à 50 % de peuples musulmans, Ouïgours, Kazakhs, Ouzbeks et animée de mouvements séparatistes elle fait l’objet de la part du pouvoir central d’une attention particulière.
Cette région accueille les camps de travaux forcés et depuis 1961, elle est le théâtre (LopNor), des quarante-six essais atomiques recensés. La pollution nucléaire y est massive, c’est un véritable désastre écologique.
Le Tibet est également une région autonome mais le gouvernement régional, auquel s’oppose le gouvernement tibétain exilé en Inde depuis 1959, est totalement inféodé à Beijing. Le gouvernement central considère cette région comme nécessaire à sa sécurité et met en avant les avantages dont bénéficie ce territoire : santé et éducation gratuites, désenclavement (depuis 2007, liaison ferroviaire en wagon pressurisés de Golmud, seconde ville du Qinghai, à Lhassa).
 
Manifestation à Paris en faveur de l’indépendance du Tibet
L'essentiel
En 2007, la Chine devient la troisième puissance mondiale. Elle assoit sa puissance économique sur une main-d’œuvre peu coûteuse et une production de masse de produits industriels et manufacturés en tous genres, acier, textiles, électroménager, produits de haute technologie, machines outils et véhicules. La plus grande partie de cette production est exportée et la balance commerciale est largement excédentaire.

Ses principaux partenaires commerciaux sont les autres pays d’Asie, les Etats-Unis et l’Union européenne. Ce développement économique associe dirigisme étatique et libéralisme. Pour autant, la Chine n’est pas une démocratie et les droits de l’homme n’y sont pas respectés.