1 - Le Moyen-Âge, un temps de découvertes.
Nous avons vu qu'entre le XVe siècle et le XVIe siècle un nouveau rapport au monde émerge en Europe.
Pourquoi?
Les causes en sont multiples (c'est-à-dire nombreuses) et diverses (c'est-à-dire variées).
Un grand épisode historique accélère ces échanges, ce sont les Croisades entre 1095 (lancement de la première croisade avec l'appel du pape Urbain II le 27 novembre 1095 aux évêques francs lors de la dernière séance du concile de Clermont, en France) et 1291 (prise de Saint-Jean-d'Acre, dernière ville de Terre-Sainte tenue par les croisés est prise par l'armée du sultan mamelouk d'Égypte Al-Achraf Khalîl) qui, bien qu'étant des affrontements militaires, participent à l'arrivée de nouvelles connaissances et méthodes en Europe.
Ainsi l'algèbre, l'astronomie ou encore la médecine arabe sont découvertes et débattues par les savants européens entre les XIe et XIIIe siècle, alors que les armées des deux continents s'affrontent.
Qui sont ces passeurs de savoirs qui font le lien entre Orient et Occident?
Ce sont des marchands, des savants, des artistes.
À
Tolède en Espagne, des figures importantes comme Gérard de Crémone ou
Jacques de Venise traduisent en latin les textes antiques retrouvés dans
la grande bibliothèque arabe de Tolède. Ils traduisent d'abord les
écrits de l'Antiquité classique grecque (les traités du médecin grec
Hippocrate, du mathématicien grec Euclide, ou du savant naturaliste grec
Aristote) et plus rarement des textes chrétiens mais aussi des traités
scientifiques et philosophiques de savants du Monde musulman comme
Avicenne.
On peut citer le parcours de Daniel de Morley (1140-1210), savant et voyageur anglais qui participe à faire connaître les sciences arabes.
Au cours de la deuxième moitié du XIIe siècle, le jeune Daniel de Morley voyage et publie des comptes rendus de ses voyages savants. Ainsi, il quitte son Angleterre natale et se rend à Paris pour développer ses connaissances en matière d'astronomie, de mathématiques et de sciences naturelles. Arrivé à Paris il juge durement les enseignements dispensés dans les collèges parisiens. Daniel de Morley juge les professeurs parisiens des différents collèges locaux "stupides et bornés" ou encore "semblables à de petits enfants sans connaissances réelles mais très très hautains et sûrs d'eux, même s'ils n'ont aucune connaissance sérieuse". Discutant avec d'autres érudits il décident de se rendre à Tolède en Espagne (la ville vient d'être conquise aux musulmans en 1085). Là, il rencontre des mozarabes (des juifs et des musulmans qui n'ont pas quittés la ville après la conquête) auprès d'eux et d'autres érudits venus de toute l'Europe il traduit avec l'aide de locaux les textes retrouvés dans les bibliothèques de la ville.
Il est saisi par la modernité des cartes astronomiques arabes, mais aussi par la médecine et par les mathématiques. Il rentre en Angleterre à la tête d'un chariot de livres scientifiques qui seront largement recopiés et diffusés en Europe.
Deux pages de manuscrits rédigés en langue arabe et reprenant les savoirs du savant et théologien Ibn Al Nafis (1210-1288).
Né à Damas, Ibn Al Nafis exerce et enseigne dans les hôpitaux de Damas et du Caire au XIIIe siècle (il meurt au Caire en Égypte en 1288). Il est l'un des premiers savants à mettre en évidence la circulation sanguine.
Né à Damas, Ibn Al Nafis exerce et enseigne dans les hôpitaux de Damas et du Caire au XIIIe siècle (il meurt au Caire en Égypte en 1288). Il est l'un des premiers savants à mettre en évidence la circulation sanguine.
Des modes également pénètrent en Europe via l'expérience des croisades : l'élevage de la genette, la chasse aux faucons (déjà connue mais qui connaît un large développement au XIIe siècle), le développement des instruments à cordes, l'utilisation de motifs végétaux ou l'usage des "arabesques" dans les décors architecturaux européens à partir du XIIe siècle.
Loin de "l'image d’Épinal" d'un temps d'obscurantisme, le Moyen-Âge est un temps de découvertes.
2 - La Renaissance : un temps de mutation intellectuelle radicale.
La date souvent choisie pour borner la limite entre Moyen-Âge et Renaissance est l'année 1492.
Elle correspond à deux évènements : d'une part, la prise de la ville de Grenade à l'extrême Sud de l'Espagne par les armées espagnoles chrétiennes de la Reconquista, et d'autre part, la découverte par Christophe Colomb de l'Amérique.
Nous avons déjà étudié le basculement des échanges de la Méditerranée vers l’Atlantique après 1453 (la prise de Constantinople par les Ottomans) et 1492 (la découverte par une expédition espagnole de l'Amérique, une expédition mandatée par la reine Isabelle 1re de Castille et le roi Ferdinand II d'Aragon) et les changements de mentalités que ce basculement entraîne (ainsi par exemple, l'Europe n'est plus le centre du monde connu, la vision d'un monde tripartite à la géographie semblable à l'image de la trinité céleste "Dieu, son fils et le Saint-Esprit" s'écroule).
Ce basculement des échanges entre Orient et Occident marque le début d’une forme de mondialisation dont les conséquences seront lourdes en Europe et dans les Monde : la constitution d’empires coloniaux (conquistadores, marchands, missionnaires...), une circulation économique importantes entre les Amériques, l’Afrique, l’Asie et l’Europe appuyée sur l’esclavage, mais aussi une remise en cause des savoirs européens et donc des dogmes de l'Église.
Les cours précédents sur les Grandes Découvertes avaient largement explorés la conquêtes puis la colonisation de terres américaines, africaines et enfin asiatiques par les Européens. Il faut maintenant s'intéresser à ce qui change en Europe suite à ses découvertes qui démarrent au Moyen-Âge et se poursuivront lors de la Renaissance.
Déjà, en géographie et en astronomie, les nouvelles connaissances accumulées via le monde arabe (redécouvertes de textes inédits latins et grecs de l'Antiquité, et relecture d'Aristote via ses commentateurs arabes comme les philosophes Avicenne ou Avéroès) ainsi que l'arrivée de nouveaux savoirs arabes comme ceux d'Al Nafis (circulation sanguine déjà vue) vont bousculer les esprits savants.
Un bon exemple de ces nouvelles connaissances, ce sont les mathématiques, qui se retrouvent en quelques dizaines d'années complètement rénovées via ce que l'historiographie contemporaine (la science de l'Histoire) qualifie de "filière africaine" et de "filière de Tolède" (ou "filière espagnole").
Une page d'algèbre arabe médiévale (comme vous le voyez, la notation "en chiffre" n'est pas utilisée ici, les calculs sont entièrement formulés en mots. Selon cette méthode une équation sera rédigée à la manière de l'énoncé d'un problème, par exemple : "quel nombre mis au carré est égal à quarante-neuf?")
ÉTUDE : Comment se déroule la formation des mathématiques arabes puis leur passage vers les savants européens? L'exemple des mathématiques.
Les califes arabes abbassides (califes régnant depuis leur capitale Bagdad de 750 à 1258 sur le Moyen-Orient)
au contact avec les savants grecs d'Alexandrie, de Tyr ou de Constantinople achètent des manuscrits à destination des savants de leur cour. Ainsi le calife, contemporain de Charlemagne, Haroun al-Rachid (le sultan des "Mille-et-une-nuits") achète des manuscrits grecs pour sa bibliothèque personnelle, une bibliothèque ouverte au public après sa mort par l'un de ses successeurs en 832. On y trouve de nombreux grands traités antiques comme les Éléments mathématiques du savant antique grec Euclide (qui sont traduits en arabe par le mathématicien Al-Hajjaj au IXe siècle) mais aussi l'Almageste ou Grande composition mathématique du mathématicien grec antique Ptolémée. Tous ces textes deviennent accessibles et traduits en arabe. Des ouvrages de géométries tels que le traité des Coniques d'Apollonius, ou encore les écrits d'Archimède les accompagnent. Les mathématiciens arabes traduisent aussi des textes d'astronomie et de mathématiques indiens comme le Surya Siddhanta et ou le Brahma Sphuta Siddhanta. Les mathématiques arabes, ouvertes et critiques, développées dans les universités et "maisons de la sagesse" de l'empire abbasside impressionnent par leur efficacité et leur logique les marchands européens, et d'abord italiens de la Méditerranée en contact avec les marchands arabes. L'usage de neufs chiffres et d'un zéro (apparu en Inde et repris par les Arabes) ou l'invention des fractions vont impressionner les érudits et marchands d'Europe.
Ainsi, alors même que les expéditions des Croisades se déroulent, des échanges savants ont lieu entre Orient et Occident, et des hommes se consacrent à l'adoption par l'Europe savante des sciences arabes et en premier lieu de leur méthode de calcul (en arabe "al-jabr" qui va donner algèbre en français).
Une grande figure de ces échanges, c'est Leonardo Fibonacci (1175 - 1250) (l'homme de la suite de Fibonacci), né à Pise en Toscane il grandit en Algérie, à Bougie où son père est marchand puis notaire pour la guilde des marchands pisans de Bougie. Leonardo qui se passionne pour les mathématiques part en Grèce puis en Égypte et en Syrie, il se rend peut-être même à Bagdad et l'on sait qu'il a lu les textes de savants iraniens. Lui-même se fait appeler "il biggolo" "celui qui à la bougeotte". Via Le Caire, Bougie puis Pise, il apprend les mathématiques arabes, et, par la rédaction du "livre des calculs" ou Liber abaci est l'un des principaux importateurs du zéro et du calcul décimal en Europe. Gerbert d'Aurillac devenu pape en 999 sous le nom de Sylvestre II avait déjà tenté d'importer l'usage du zéro et du calcul algébrique en Europe autour de l'an 1000. Mais c'est vraiment le livre de Fibonacci qui l'impose. Par exemple, Fibonacci rencontre l'empereur du Saint-Empire Romain Germanique Frédéric II dans les années 1220 (il résout devant lui des problèmes mathématiques complexes). Lorsqu'il meurt vers 1250 à Pise on sait que "le sage et discret maître Biggolo" (c'est ainsi qu'il est nommé dans les archives de Pise) "bénéfice d'une pension versée par la ville pour son œuvre au bénéfice de la cité".
Ainsi, même si des traités antiques grecs et latins étaient connus en Europe (on sait par exemple que les bibliothèques universitaires parisiennes ou celles de monastères comme le Mont Saint-Michel possédaient des manuscrits antiques) ceci étaient peu lus ou lus via le prisme de commentaires médiévaux les faussant, voire carrément interdits d'accès par les clercs et de toute façon peu nombreux. La connaissance des savoirs antiques était donc faible avant les échanges des XIe-XIIe-XIIIe siècle. Par ailleurs les savants arabes apportent aux Européens de nouvelles connaissances, complètement inconnues dans l'Antiquité européenne comme le zéro et le calcul décimal.
QUESTIONS :
1. Identifiez les textes découverts ou redécouverts par les savants européens via les savants arabes.
2. Quelles connaissances inédites sont découvertes par les savants arabes et reprises par les Européens?
3. Donnez le nom du savant algero-italien qui par son traité de calcul participe à faire entrer le calcul algébrique en Europe.
4. Citez un savant musulman dont l'influence sera forte en Europe au Moyen-Âge.
5. Pourquoi parle-t-on de "filière africaine" et de "filière de Tolède"?
6. Sur une carte, localisez les lieux des différents voyage de Fibonacci.