L’OCCUPATION : LA FRANCE DIVISÉE

TÉMOIGNAGES DE RÉSISTANT(E)S


Document 1 : 


Sur le drap blanc tendu, les femmes, les enfants et les vieux déposaient des petites fleurs bleues, blanches et rouges. Pornic n’avait plus assez de tombes pour accueillir les corps qui échouaient sur ses plages en cet été 1940. Alors le maire avait fait recouvrir les corps d’un drap blanc devenu tricolore, avant l’inhumation.


Aux côtés de mes parents et de mon jeune frère, j’ai été leur rendre moi aussi un dernier hommage. Le visage grave malgré mes traits enfantins, quand, après, je suis passée devant des soldats allemands, je suis passé sans un regard pour eux. Les dépouilles que je venais d’honorer étaient des victimes du Lancastria, coulé le 17 juin 1940 au large de Saint-Nazaire, je le savais. Du haut de mes 14 ans, moi la petite Michèle, je voulais faire sentir à l’occupant qu’il n’était pas le bienvenu. 


Pour moi, quelque chose commence là, dans ce cimetière marin. Soudain, j’ai mieux saisi les mots de mon père : “Il faut faire quelque chose !” avait tonné cet homme d’habitude si mesuré quelques jours plus tôt. C’était le 17 juin, le jour où le bateau anglais a sombré, celui où le maréchal Pétain, sous les ordres duquel il avait combattu en 1914, a annoncé la cessation des combats. Toute la famille s’était pressée autour du poste radio, avant de se murer en larmes, dans le silence.


Dans les jours qui suivent, les conversations bruissent d’un général français à Londres qui s’exprime à la BBC. Michèle ne croit pas à cet officier au nom prédestiné. Mais la rumeur charrie l’espérance, elle enfle dans la ville et atteint bientôt la maisonnée qui tente de capter cette voix lointaine. « C’était merveilleux, se souvient encore Michèle, il disait tout ce que nous voulions entendre. À partir de ce moment-là, nous l’écoutions tous les soirs et nous sommes devenus gaullistes, sans jamais avoir vu de Gaulle ! »


La résistance, pour elle, ce sera : distribuer des tracts, défendre l’espoir de la lutte et le général De Gaulle dans les discussions. Une lutte non violente mais au combien utile. Sur les tableaux du lycée, sur les murs dehors, elle dessine aussi le “V” de Churchill et des croix de Lorraine, symbole de la Résistance aux côtés du Général De Gaulle. 


Autour d’elle elle discute avec des gens de confiance, elle découvre que la directrice d’un internat voisin, Madame Samuel, participe à un réseau de résistance. Elle la rencontre, le courant passe et peu après, une grande enveloppe en kraft est parvenue à leur domicile. À l’intérieur, des tracts et cette consigne : « Recopiez et faites circuler. » D’un seul élan, toute la famille s’y met.


« Ils étaient épatants, ces premiers tracts, ils tenaient dans la poche et on pouvait les laisser ou les coller partout ! », s’anime encore Michèle, aussi enjouée qu’à l’époque, avant d’ajouter, au détour d’une phrase : « Que nous risquions notre vie, je ne sais pas comment nous aurions pu l’ignorer. »


Bientôt d’ailleurs, l’envoi des tracts devient trop dangereux. Il faut désormais aller les récupérer auprès de Madame Samuel mère, à l’internat de jeunes filles dont elle est responsable. « Il n’y a que moi qui puisse le faire sans être remarquée ! », lance immédiatement la jeune fille. Elle n’a pas encore quinze ans et avec sa coupe au carré et ses robes bien taillées, elle ressemble toujours à une enfant. Son père hésite. Sa mère non. La voilà partie pour son premier voyage.


Chaque jeudi, c’est le même scénario. Mme Samuel la fait déjeuner à la cantine puis, dans son bureau, Michèle remplit son cartable de tracts ou de journaux. Parfois, il faut aider à les imprimer, sur une machine qui tache les mains. Alors Michèle met des gants. Parfois, des rafles surviennent à Versailles. Alors elle ouvre spontanément son cartable et s’avance, mais personne ne regarde jamais à l’intérieur. La jeune fille développe une extrême vigilance, aime la confiance dont lui témoignent les adultes. Mais ce qu’elle adore par-dessus tout, c’est filer ainsi à la barbe des Allemands.


En avril 1944, Michèle Agniel et ses parents, appartenant au réseau « Bourgogne », sont arrêtés et déportés. Elle sera libérée avec sa mère en juin 1945. Son père ne rentrera pas.



Document 2 : 


J’avais 15 ans en 1939. La campagne de France a été pour moi un choc. Mes parents, des gens de classe moyenne, m’avaient envoyé me cacher à Blois chez ma grand-mère dès l’annonce de la percée allemande de Sedan, le 13 mai. Dès l’annonce de l’arrivée des Allemands sur la Loire, j’ai pris mon vélo et ma carabine “La Populaire”, une carabine d’enfant, dans un petit calibre, et j’ai décidé d’aller combattre. J’ai essayé d’intégrer plusieurs régiments français mais tous m’ont refusé. Bien sûr, aucun groupe n’acceptait de gamin ! 


Au final, j’ai abandonné l’idée de combattre les Allemands avec une carabine à plomb et j’ai continué vers le Sud. 


J’avais de la famille en Dordogne, à Belvès. J’ai décidé d’aller chez eux. Quand je suis arrivé, personne n’était là. J’ai dormi sous la halle du marché et leur ancienne bonne m’a accueilli. Mais ces gens étaient très pauvres et moi je mangeais beaucoup ! J’ai vite compris que j’étais pour ces gens adorables une bouche de trop alors je suis reparti. J’ai alors rencontré une famille de forains, des gens du voyage qui vendaient des espadrilles sur les marchés. J’ai travaillé pour eux. Ils m’ont nourri. J’ai même gagné un peu d’argent grâce à eux. Avec cet argent j’ai pu me payer un billet de retour. 


Revenu à Ecouen, je reprends le lycée sans y croire. Je veux résister. Avec des copains de classe on fabrique des tracts. Je ne travaille plus vraiment en classe. je suis surtout actif dans notre petit groupe. 


Finalement j’abandonne mes études et entre comme aiguilleur à la SNCF. Avec des collègues cheminots nous menons quelques petites actions, des petits sabotages. Il faut attendre 1944 pour que je rejoigne finalement les FFI (Forces Françaises de l’Intérieur). Je combats à Saint-Denis contre les Allemands, puis je suis enrôlé dans les FFL (Forces Françaises Libres). Je deviens tirailleurs algériens, moi le petit gamin de Seine-et-Oise ! 


L’aventure s’arrête pour moi le 8 avril 1945 quand ma main droite est détruite par une rafale de mitrailleuse allemande. Mais un mois plus tard, en convalescence, je suis en vie pour entendre que l’Allemagne est vaincue. Ma guerre est finie ! 


Jean Daban sera décoré de la croix de guerre 1939-1945 avec une étoile d’argent. 


Document 3 : 


Odile, elle, n’hésite pas.


À la fin de l’été 1940, elle avait regagné. L’ambiance est terrible à Paris. Du vert-de-gris partout. Elle est choquée : cette teinte qui étouffe la ville lui soulève le cœur. Dans les cafés, dans les rues, place de la Concorde, elle se répand, tout juste interrompue par le rouge et le noir des oriflammes. Et puis les sons, eux aussi hostiles, comme cette musique de l’armée allemande qui tous les jours remonte les Champs-Élysées. 


À Paris, se devinent alors les premiers signes de la résistance. Les journaux clandestins surgissent dans les boîtes aux lettres. Les rumeurs d’arrestations s’échangent discrètement. Il se passe quelque chose, Odile en est persuadée, et elle brûle d’y participer. Mais comment ? Dans la capitale occupée, on parle prudemment, même à ses anciens amis. C’est le cinéma qui, enfin, lui en offre l’occasion. L’appel du silence, un film sur le père de Foucauld qui relate ses missions de renseignement.


« Quelle chance, s’exclame-t-elle à la sortie, je rêve de faire de l’espionnage ! »


« C’est vrai ? répond son amie Hélène, je connais quelqu’un qui est dans l’espionnage jusqu’au cou… »


« Je t’en supplie, se précipite-t-elle, dis-lui de venir me voir ! »


Message transmis. Quelques jours plus tard, Madame Poirier, maquillage ostentatoire et cheveux teints, lui propose de récupérer du courrier le matin, de le cacher et de le remettre le soir à la personne qui se présentera. Odile accepte mais déjà elle voit plus loin, espère davantage. En raccompagnant son étrange visiteuse, elle lui glisse : « Je suis prête à tout pour servir, je cherche depuis longtemps. » L’attente touche à sa fin. Peu de temps après, rendez-vous lui est donné devant la salle Pleyel.


« Êtes-vous prête à prendre le train pour Toulouse vendredi soir ?Si oui, venez dîner demain au Marius pour rencontrer votre chef. »


« Pas de problème, réussit à articuler Odile qui, en jeune fille de bonne famille, ne sort jamais sans être accompagnée.


Elle entend déjà les objections de sa mère mais elle le sait, si elle montre une hésitation, ils ne lui confieront plus rien. Se taire. Mentir. Dès ses premiers pas dans le monde clandestin, Odile comprend l’attitude qu’elle doit adopter, même si elle ne mesure pas encore combien ce silence va lui coûter. Attablée au Marius, elle écoute Mme Poirier, désormais Éliane, et Hubert, soulagée de sentir que ce réseau, « c’est du sérieux. » Elle découvre aussi que sa mission aura lieu tous les week-ends : elle descendra un paquet à Toulouse le vendredi soir et en rapportera un autre à Paris, le dimanche matin.


Le retour en métro lui semble interminable. « Où je me suis fourrée ? Je suis complètement folle ! », s’agace-t-elle, enrageant contre son « esprit fort ». Enfin, elle trouve une histoire et dès son arrivée chez elle, annonce qu’elle doit se rendre à Versailles pour la création d’une bibliothèque. Afin d’emporter l’adhésion maternelle, elle prend soin de préciser qu’elle logera dans une famille de confiance, rue de la paroisse. De fait, elle traverse la France pour porter matériel et document sensible. 


Elle ne dit rien à sa famille. Sa vie est comme coupée en deux, solaire le samedi, malheureuse le reste du temps, quand l’arrestation de son contact y met une fin brutale. « Il ne faut plus nous revoir, ordonne alors Hubert le chef du groupe. Au revoir et merci. »


Odile chancelle un peu, déjà saisie par l’angoisse de l’inaction. Mais elle connaît à présent les codes, sait provoquer les occasions. Par une amie, elle intègre rapidement une filière d’évasion. Il s’agit de gagner la frontière belge, d’aller chercher des aviateurs alliés puis de ramener ces « boys » à Paris. Odile devient Jeanne, se livre enfin à sa mère. Et quand elle marche dans la plaine obscure, entre la France et la Belgique, elle songe : « C’est exactement ainsi que je me représentais la guerre que pouvait faire une fille ! »


En janvier 1944, Odile de Vasselot manque d’être arrêtée et la ligne d’évasion « Comète » est démantelée. Elle réintègre le réseau de renseignement « Zéro » jusqu’à la fin de la guerre.


Document 4 : 


En novembre 1942, l’armée allemande franchit la ligne de démarcation. Paul Burlet a alors quinze ans et fait ses études à l’école de la Côte-Saint-André, près de Grenoble. Et pour lui, élevé dans la détestation de Pétain, c’est une déflagration. Sitôt accusée l’onde de choc, il réunit quelques élèves. Élève surveillant de l’internat, il jouit d’une petite autorité mais ce jour-là, il n’a à convaincre personne : la résolution du groupe est immédiate et devient officielle dans les heures qui suivent. 


“Asseyez-vous !”, lance un professeur en entrant dans la salle. Aucun mouvement ne vient rompre l’épais silence. Paul prend la parole : “Monsieur, la classe entre en Résistance ! Nous vous demandons d’en faire part au directeur Monsieur Rivot”, sept citations à la guerre de 14. Aux élèves boursiers comme Paul, il répète qu’il leur faut rendre à l’État ce qu’il leur a donné. “Mais qu’allez-vous faire ?“, reprend l’enseignant.


“On ne sait pas encore mais sûrement quelque chose.”


Parmi ses camarades, un dessinateur de talent. C’est vu, ils commenceront par des tracts. Les élèves, délivrés par Paul le soir venu, remplissent les boîtes aux lettres. Ils s’amusent. Le directeur ne bronche pas. Mais récupère plus d’une fois les adolescents à la gendarmerie. « En avez-vous fini ? questionne-t-il de sa voix puissante, j’ai besoin de mon surveillant général et les autres doivent faire leurs devoirs ! »


Les garçons, eux, avancent vite. Après les tracts, ils badigeonnent de goudron les maisons des collaborateurs. Paul le sait, avec cette « peinture », ils franchissent un pas de plus. Leur action devient politique et leur arrestation possible. Un résistant plus aguerri, d’ailleurs, se rapproche d’eux, leur donne « du travail » et quelques règles pour se protéger. Sans doute le directeur a-t-il jugé bon de les encadrer un peu.


Encore aujourd’hui, Paul se remémore la fébrilité de ces premiers moments avec gourmandise. Comme beaucoup, il ne parle de rien à ses parents. Mais il n’en souffre pas, assure-t-il. L’internat à douze ans, cela apprend à ne pas trop s’épancher. Un soir seulement, il provoque une conversation en tête-à-tête avec son père. « J’ai besoin d’un revolver », lâche-t-il dans l’obscurité. « Tu es sérieux ? Tu veux me dire pourquoi ? », s’inquiète son père. Paul refuse de répondre aux questions. Mais peu de temps après, Paul reçoit un 7-65 flambant neuf. Pas un mot n’accompagne le précieux don. Et le jeune homme ne demande aucune explication. Le temps est à l’action et la lutte s’intensifie contre les miliciens. Cette fois, ce sont les explosifs qu’il faut apprendre à manier. La leçon, vite retenue, accouche d’un fracas immense. Ils sont deux avec Paul à avoir allumé la première mèche. Conscients que désormais, ils ne rentreront plus chez eux. Ils sont maintenant des saboteurs. En août 1943, Paul Burlet est amené aux maquis du Vercors. Il combat sous les ordres de Geyer-Thivollet jusqu’à la Libération.


« Pour choisir la résistance, il faut des pères, dit Paul aujourd’hui. Des pères qui vous ont tellement façonnés qu’il est impensable d’agir autrement. Et pour gagner le maquis, il faut de sacrés pères ! »


D’après des témoignages de résistants rerédigés pour la classe. 


QUESTIONS : 

1 ) Recensez les personnes cités, retrouvez pour chacun et chacune leur âge approximatif, leur milieu social et leur sexe (ou genre). Que constatez-vous ?

2 ) Quels types d’actions de Résistance ces personnes ont-elles menés ? Via quelles structures organisées ? 

3 ) La Résistance étaient-elles toujours armées ? Justifiez votre réponse à l'aide des documents. 

4 ) Quel était l’intérêt de chacune des différentes formes de Résistance ? Vous pouvez répondre via un tableau. 

5 ) Quelle leçon tirez-vous de ces documents ? En quoi ces documents appuient-ils l’idée que des gens issus des toutes les composantes de la société française ont participé à la Résistance ?


Trois photographies de Simone Ségouin, jeune résistante française ayant rejoint les FFI et participé à la libération de Chartres puis de Paris, participants à plusieurs combats de rues.


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