II. FAIRE LA PAIX
Casque bleus en ex-Yougoslavie
1. DE LA GUERRE A LA PAIX
La paix est communément définie comme l’absence de guerre. Elle est donc perçue en négatif. Au néolithique et dans l'Antiquité, c’est l’épuisement d’un ou plusieurs belligérants et donc l’absence de combat qui suffit à constituer la paix.
Les premiers traités de paix rédigés apparaissent au Moyen-Orient. On peut citer :
Vers 2400 av. J.-C. : l'accord politique entre Entemena de Lagash et Lugal-kinishe-dudu d'Uruk à Sumer.
Vers 2350 av. J.-C. : le traité entre Ebla et Abarsal, plus ancien exemplaire de traité de paix connu, entre Irkab-Damu d'Ebla et la ville d'Abarsal.
Vers 2250 av. J.-C. : le traité entre Naram-Sin d'Akkad et un roi d'Awan (Élam).
1775-1761 av. J.-C. : les quatre traités de paix retrouvés dans le palais du roi Zimri-Lim de Mari, dont un avec le roi Hammurabi de Babylone.
c. 1500-1200 av. J.-C. : le traité conclu entre Hattusili III et le roi égyptien Ramsès II, également connu par une version égyptienne.
En Europe on peut citer le traité de l'Èbre (en 226 av. J.-C.). Ce traité signé entre les autorités romaines et carthaginoises délimite la frontière entre les deux puissances dans la Péninsule Ibérique : à Carthage revient la partie de la péninsule située au sud du fleuve « Iber » (peut-être l'Èbre, ou le Jucar), et à la République romaine la partie nord de la péninsule ibérique.
En 219 av. J.-C., devant la puissance croissante d'Hannibal Barca dans la Péninsule, Rome, malgré le traité signé, décide de passer un accord avec la ville de Sagonte, située bien au sud du fleuve et la déclare sous protectorat romain. Au vu de la violation du traité, Hannibal assiège la ville, qui tombe après 8 mois de siège puis déclare la guerre à Rome : ainsi commence la deuxième guerre punique.
2. LA PAIX : UN OBJECTIF POLITIQUE DES ETATS
La paix devient alors paradoxalement un motif de guerre. C’est au nom de la paix que Jules-César entreprend sa conquête de la Gaule entre 58 et 52 avant Jésus-Christ. La Paix romaine, qui se traduit en Europe par près de deux siècles sans invasion ni guerre importante contre Rome, est mise en place par une politique d’intégration des élites guerrières conquises ou par leur destruction.
La paix est longtemps un objectif politique des États seuls. Les états modernes se sont construits sur le monopole de la violence, il est logique qu’il appartienne donc à ces mêmes états de régler les conditions de la paix. Paix extérieure entre États souverains, mais aussi paix impériales, à l'intérieur des grands ensembles géopolitique comme l’Empire romain ou plus près de nous les blocs idéologiques et militaires de la Guerre Froide.
Les Traités de Westphalie (1648), le congrès de Vienne (1815) sont des solutions de paix négociées et ratifiées par les représentants d'État.
3. LA PAIX DES PEUPLES ET DES CITOYENS
Au XIXème siècle apparaissent les premiers mouvements de citoyens pour la paix comme la Société de la morale chrétienne, fondée à Paris en 1821 par le duc de la Rochefoucauld-Liancourt, ou encore la Société de la paix de Genève (fondée en 1830).
Pour l’écrivain Victor Hugo (1802-1882), la paix doit passer par l’Union des peuples, et en premier lieu par la formation d’une nation européenne.
Il déclame, dans son discours d’ouverture au Congrès de la paix de Paris (21 août 1849) :
"Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les États-Unis d’Amérique, les États-Unis d’Europe, placés en face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits. leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies, défrichant le globe, colonisant les déserts, améliorant la création sous le regard du Créateur, et combinant ensemble, pour en tirer le bien-être de tous, ces deux forces infinies, la fraternité des hommes et la puissance de Dieu.
Et ce jour-là, il ne faudra pas quatre cents ans pour l’amener, car nous vivons dans un temps rapide, nous vivons dans le courant d’événements et d’idées le plus impétueux qui ait encore entraîné les peuples, et, à l’époque où nous sommes, une année fait parfois l’ouvrage d’un siècle. Et Français, Anglais, Belges, Allemands, Russes, Slaves, Européens, Américains, qu’avons-nous à faire pour arriver le plus tôt possible à ce grand jour ? Nous aimer.
Nous aimer ! Dans cette œuvre immense de la pacification, c’est la meilleure manière d’aider Dieu !”
Pour Victor Hugo :
- L’Europe (et même l’Occident à terme) doit devenir une « nation »
- L’Europe ne peut se faire qu’autour de la France et de l’Allemagne.
- L’Europe doit posséder un « droit d’ingérence » pour stopper les atrocités commises par les Turcs contre les Serbes dans les Balkans.
Le 24 juin 1859, un citoyen suisse, Henry Dunant, est témoin de la bataille de Solférino. Sur place, il improvise des secours avec le concours des populations civiles locales. L’aide humaniste apportée aux soldats des deux camps sans discrimination de nationalité ou de religion est l’acte fondateur de la Croix-Rouge.
Henry Dunant met ensuite en avant deux propositions qui fondent le Droit Humanitaire moderne :
La neutralisation des services sanitaires militaires sur le champ de bataille.
La création d’une organisation permanente pour l’assistance aux blessés de guerre.
En 1936 est créé le Rassemblement universel pour la paix (RUP). De grandes personnalités européennes s’engagent pour soutenir la paix. Des hommes politiques venus de diverses démocraties européennes participent au mouvement qui organise de grandes manifestations pour la paix. Edouard Herriot (politicien français du parti radical), Norman Angell (homme politique conservateur britannique) participent au mouvement.
Après 1945; le Mouvement de la paix, organisation pacifiste française qui s'inscrit dans la promotion de la culture de Paix lancée par l'ONU, est créé. Ces hommes et femmes, issus des grands courants de la Résistance, notamment ceux d'inspiration communiste, chrétienne ou de libres-penseurs, relance un mouvement proche du RUP.
Mais dans les années 1950 et 1960, le Mouvement de la paix devient un mouvement de masse transnational dont la plus grande partie des participants est formée par des militants et des sympathisants communistes et dont les Partis communistes locaux détiennent les leviers de commande.
4. LE TEMPS DES INSTITUTIONS INTERNATIONALES (SDN ET ONU)
Au XXème siècle, après la Première Guerre mondiale, voit le jour la Société des nations (SDN). En effet, le dernier des Quatorze points de Wilson de janvier 1918 préconise la création d’un forum des nations constituant une base de discussion stable pour régler les conflits entre États. La SDN voit le jour en 1919, au sein du traité de Versailles. Elle poursuit la recherche de la paix par la promotion du désarmement, mais aussi par la promotion du libre échange et la croissance de la qualité de vie, la prévention des guerres au travers du principe de sécurité collective et la résolution des conflits par la négociation.
Toutefois, le Sénat américain ne ratifie pas le Traité de Versailles et vote contre l’adhésion à la Société des Nations. Les États-Unis ne feront donc pas partie de la SDN.
L'approche diplomatique qui préside à la création de la Société des Nations est novateur car les négociations de la SDN sont publiques, et collectives. La diplomatie secrète, qui avait prévalue au XIXème siècle (celle de Clemenz Metternich, ou Talleyrand).
Par contre, la SDN n’aura jamais de forces armées propres et dépend des puissances membres pour l’application de ses résolutions. Par ailleurs, la SDN ne possède pas d'exécutif de taille réduite, capable d'agir rapidement et sans consensus.
La SDN apparaît rapidement comme incapable de régler les conflits importants. Seuls quelques conflits de taille réduite sont résolus par la SDN. Benito Mussolini déclare ainsi : « la Société des Nations est très efficace quand les moineaux crient, mais plus du tout quand les aigles attaquent ». Dans l’entre-deux-guerres, trois pays (l’Allemagne nazie, ainsi que le Japon en 1933, et l'Italie en 1937) quittent la SDN.
C'est pourquoi, lorsque l'ONU (Organisation des Nations Unies) est créée e 24 octobre 1945 par la ratification de la Charte des Nations unies, signée le 26 juin 1945 par les représentants de 51 États, un Conseil de sécurité de cinq grandes puissances est créé. Si l'ONU reprend de nombreuses agences sur le développement (UNICEF, UNESCO) et le libre-échange, l'ONU met en place des forces d'interposition (les "casques bleus") et un conseil exécutif réduit, le conseil de sécurité.
Les institutions spécialisées et organisations apparentées disposant de bureaux de liaison avec le Siège de l'ONU :
- l'Organisation internationale du Travail (OIT) - l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) - l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) - l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) - la Banque mondiale - le Fonds monétaire international (FMI) - l'Union internationale des télécommunications (UIT) - L'Organisation météorologique mondiale - l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle - le Fonds international de développement agricole - l'Organisation des Nations Unies pour le développement industriel - l'Organisation mondiale du tourisme - l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) - la Cour pénale internationale - l'Autorité internationale des fonds marins - le Tribunal international du droit de la mer - l'Organisation internationale pour les migrations
De grandes associations liées à l’ONU existent également, comme Interpeace. Créée en 1994, par les Nations unies, Interpeace devient indépendante en 2000, tout en gardant un lien privilégié avec ses créateurs. Agissant comme une ONG, elle permet de continuer le dialogue pour la paix et le développement hors de l'ONU.
La négociation internationale semble aujourd'hui la solution la plus viable, malgré ses échecs. Aujourd'hui, la Pax americana des années 1945-2003 apparaît comme la dernière paix impériale. La mondialisation dynamique globale et conflictuelle, et les progrès de l'armement, vouent désormais toute ambition impériale planétaire, même celle d’une Chine réveillée, à l’échec.
La seule paix mondiale possible doit reprendre le laborieux chemin de la paix contractuelle, démocratique et institutionnelle, exploré notamment par le philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804), auteur de Vers la paix perpétuelle (1795). Où il pose le concept d'une paix rationnelle et négociée publiquement.
Pour aller plus loin :
Une histoire mondiale de la paix, par Philippe Moreau Defarges, 2020.
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