MOI, COMLAN, 13 ANS, ESCLAVE (PARTIE DEUX)

Deux nuits ont passé dans les cris et la douleur, puis un matin nous avons été transportés à bord d'un grand bateau peint de noir et de blanc. 
 
Je n'avais jamais vu un tellement bâtiment. Je crois bien avoir compté deux grands mâts et sept grandes voiles blanches immenses. Sur chaque côté du bateau, cinq canons avaient été placés pour en défendre le pont. Ce navire était effrayant. Il avait un air mauvais, aussi mauvais que ses marins. C'était le navire de la mort elle-même.
 
Tout au long de notre transbordement du quai à la cale du navire les marins et leurs officiers (leurs chefs) nous hurlèrent dessus. Les blancs ne criaient pas, non, ils hurlaient vraiment, comme des bêtes enragées. Moi je n'étais qu'un enfant, mais ils ne m'en traitaient pas pour autant mieux que les autres, vraiment, ils me traitaient même moins bien qu'un chien ou qu'un sac de farine. Certains matelots étaient jeunes pourtant, peut-être du même âge que moi, mais eux aussi me hurlaient dessus et me frappaient pour me faire avancer. 
 
Plus tard, j'ai appris que cette discipline atroce et idiote faite de coups, de cris et de brimades vexatoires sans aucun sens apparent, avait pour but de nous terroriser et d'empêcher ainsi toute mutinerie à bord. C'est pour cela que les blancs ne nous laissaient pas un seul instant de répit, ils nous empêchaient en tout pour éviter toute révolte.
 
Comme tous les captifs lors de l'embarquement j'avais du mal à avancer, les chaînes lourdes avec lesquelles j'étais attachées entravaient mes pas. J'avais chaud, je suais, mais personne ne me donna à boire malgré mes plaintes. Quand le bateau fut chargé après des heures et des heures d'attente, nous prîmes enfin la mer. 
 
Quelle horreur que notre chargement humain! Nous étions tous attachés aux bras et aux jambes, maintenus de force couchés au sol de la cale dans une odeur de puanteur absolu, sans lumière autre que celle apportée par des fentes présentes dans le plancher du pont. Ils nous étaient interdits de nous lever ou de bouger sauf à de rares moments, quand un marin venaient par exemple détacher quatre ou cinq captifs pour les faire marcher un peu sur le pont. Le plus souvent, nous étions contraints de faire nos besoins sous nous, à même le sol, qui était parfois lavé à l'eau de mer, quand l'odeur devenait insupportable même pour les marins qui vivaient au-dessus de nous. Les femmes, moins nombreuses, étaient moins mal traitées. En échange de leur charmes des marins, les blancs, des officiers et des matelots, venaient les chercher au fond de la partie de la cale où elles étaient toutes ensembles rassemblées pour les emmener dans leurs cabines ou sur le pont. 
 
Et si je veux être honnête dans mon récit je dois raconter une histoire liée aux femmes du bateau qui m'a beaucoup attristée. 
 
Un jour, un de mes camarades captifs a réussi je ne sais comment à se détacher. Il s'appelait Demba. C'était un peul. Il n'a rien dit au début, restant discret sur le fait qu'il pouvait maintement délier aisément ses liens. Un jour, il a réussi a déjoué la surveillance des méchants blancs et à voler l'un de leurs couteaux, puis l'une des clefs qui leur permettait d'ouvrir nos chaînes. Demba était vif et très intelligent, un homme très précieux. Au bout de quelques jours il avait réussi à dresser tout le plan du navire, il savait où dormaient les marins, où étaient entreposées les armes, où se reposaient les chefs la nuit. Il fit passer des messages pour prévenir chacun que quelques jours plus tard, quand sonnerait le quart de quatre heures du matin, celui ou les blancs étaient les moins vigilants et les plus pleins d'alcool, il lancerait une mutinerie. 
 
Son plan était parfait, mais Demba commit l'erreur de prévenir les femmes captives, pour les associer à son aventure. La majorité des femmes, comme nous, étaient ravies et se tinrent prêtes à nous aider. Mais d'autres, qui avaient fait alliance avec les blancs, leur répétèrent qu'une mutinerie des captifs se préparait. 
 
La réponses des marins fut terrible. Rapidement les officiers descendirent au milieu des captifs pour les frapper. Demba fut arrêté et jeté à l'eau avec cinq autres camarades pris au hasard dans la soixantaine de captifs présents à bord, au beau milieu de l'océan. La clef qui devait permettre de nous libérer et aussi un pistolet et deux couteaux furent retrouvées bien vite dans une cache de la cale. Nous fûmes tous battus et rattachés plus solidement. La mutinerie n'avait pu avoir lieu.

Une fois encore je pleurais la nuit venue et cette fois encore je maudissais le fait d'avoir été trahi par des gens de ma race.
 
Un détail du tableau "danse d'esclaves", milieu du XVIIIe siècle, par Augustino Brunias. Le tableau, peint par un européen, met en avant la beauté des femmes esclaves vues par le peintre dans les Antilles.
Dès le début de la pratique de l'esclavage, des hommes blancs, marins comme planteurs, profitent de leur position pour imposer des unions à des femmes africaines captives. Ils les séduisent sans doute peut-être parfois, mais il est important de garder en tête que ces couples mixtes, qui donneront naissance aux premiers enfants métis, ont toujours été réalisés dans le cadre de la contrainte créée par les conditions inégalitaires entre blancs et noirs dans les sociétés esclavagistes.
 
 
1.Cherchez les mots et expressions inconnus et expliquez-les. 
2.Quels sont les étapes du récit?
3.Décrivez les conditions de transfert des captifs à bord du navire puis dans le bateau. Comment les qualifier? Vous semble-t-elle acceptable?
4.Pourquoi la mutinerie planifiée échoue-t-elle?
5.Et après la répression de la mutinerie que déplore une fois de plus Comlan? 

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