1.1 Penser la guerre et les conflictualités.
La guerre peut être définie comme : un état de conflit armé entre plusieurs groupes (religieux, politiques, ethniques). Si le dictionnaire Le Robert restreint sa définition aux seuls affrontements militaires entre armées, le monde actuel offre des situations asymétriques que l'on peut qualifier de guerre sans pour autant assister à des conflits de type classique armée(s) contre armée(s). Quelques exemples : la guerre civile espagnole ou la guerre d'indépendance irlandaise et sa poursuite en Irlande du Nord par les attentats perpétrés par l'IRA. Autre exemple les actions menées contre les "narcos" au Mexique de 2006 à aujourd'hui.
Le mot conflit rassemble toute les formes de guerre (conflits armées) et plus largement les conflictualités, mot qui désigne les formes d'affrontements guerriers non armés (embargo, boycott, guerre idéologique).
La paix correspond quant à elle à un état de repos des groupes considérés, ils sont le plus souvent humains mais pas seulement. Il est possible de s'intéresser aux conflits animaux. C'est le cas de la géographe Laine Chanteloup, spécialiste des meutes de loups.
Les guerres restent rares durant la préhistoire. Des affrontements liés à l’accès aux ressources sont concevables mais les archéologues ne possèdent aucune preuve archéologique d'affrontements guerriers.
Si des témoignages de prédation entre humains existent (en Espagne) il n'est pas impossible qu'il s'agissent de charognes dépecées. En Israël, des squelettes d'individus parfois jeunes et ayant été blessés par des javelots ont été trouvés mais il peut là encore s'agir de blessures accidentelles (chasse).
C'est la révolution néolithique qui installe les sociétés humaines dans la guerre. Avant la sédentarisation des humains, la guerre n'est pas souhaitable, ni supportable par les micro sociétés humaines. Les individus d'un clan sont peu nombreux, perdre les hommes valides de la micro société peu entraîner la disparition de celle-ci. Par ailleurs la densité humaines est faibles et les hominidés, particulièrement les homo erectus, semblent avoir plutôt recherché l'évitement social, d'où la rapide extension géographique de l'espèce.
Par contre, la création des premiers états et civilisations sédentaires amène, avec la création des premières frontières les premiers conflits armées. La Chine, l'Inde, mais aussi la Mésopotamie et l'2gypte, les premiers grand empire, sont les premiers lieu de la guerre attestés historiquement. Au XXXIIe siècle avant notre ère, la palette de Narmer témoigne déjà d'une pratique aboutie de guerre mais aussi du discours héroïque et politique entourant celle-ci.
L'une des faces de la palette de Narmer (v. 3185 à 3125 avant notre ère), découverte en 1898, elle est conservée au musée égyptien du Caire. Avec la stèle du roi serpent et la massue du roi scorpion, elle fait partie des plus anciens objets royaux égyptiens connus.
Dès le Néolithique, les artefacts liés à la guerre se confondent avec les instruments du pouvoir. Les dirigeants se doivent d'être présentés comme : courageux, valeureux, bons meneurs d'hommes, fiers et forts. L'autorité des dirigeants est assise par une propagande intense, qui les lient aux Dieux et à des êtres fabuleux. Ainsi Narmer, unificateur de la Haute et de la Basse-Egypte est également représenté vainqueur de deux serpopards (animal mythique).
Dans l'Antiquité les auteurs font surtout l'apologie des chefs de guerre, voire de leur propres guerre, comme Jules-César dans son ouvrage, La guerre des Gaule, composé après le siège d'Alésia en trois au cours de l'année 52 avant Jésus-Christ. Il faut savoir que cette rédaction rapide est possible car des esclaves secrétaires, mais aussi le chef du secrétariat Aulius Hirtius, le jurisconsulte Trebatius, accompagnent César en Gaule, et l'aident lors de la rédaction des Commentaires à ordonner la chronologie des événements. Ils y joignent des descriptions ethnographiques ou géographiques tirées d'auteurs grecs, et trient les données factuelles (notes dictées, lettres, rapports aux Sénat) rassemblées durant la guerre. César n'a rédigé que la version définitive.
La guerre, durant l'Antiquité, et même le Moyen-Âge est longtemps un événement non codifié et emprunt de mysticisme. Que l'on pense à l'histoire romaine ou les prodiges guident les guerriers où au Moyen-Âge ou les rois francs guettent les prodiges et en appelle aux puis à Dieu, tel Clovis à la bataille de Tolbiac en 496.
Avec l'émergence des États modernes et l'arrivée de l'artillerie, les conceptions guerrières changent. La guerre doit être pensée sur le long terme, et les liens sacrés et interpersonnels disparaissent au profit de la mise en avant de la technique, des moyens financiers et humains, du droit et de la rationalité. La guerre se professionnalise.
L'un des grands penseurs modernes de la guerre et du droit des gens (ou droit international) est le néerlandais Hugo Grotius (1583-1645).
Hugo Grotius (1583-1645)
Deux de ses livres ont un impact considérable dans le domaine naissant du droit international : De Jure Belli ac Pacis (Le Droit de la guerre et de la paix) et son Mare Liberum (De la liberté des mers).
Grotius influence largement sur l'évolution de la notion de « droit ». Avant Grotius, les droits sont compris comme inhérents aux objets et largement intemporels. Suite à ses travaux les droits sont compris comme liés aux personnes et dès lors fongibles, transmissibles et mouvants, Il deviennent l'expression d'une capacité d'agir, un moyen de réaliser quelque chose comme une capacité, dans un mouvement de pensée assez platonicien (distinction "en puissance" "en actes").
Il est l'un des premiers penseurs à définir expressément l'idée d’une société unique d'États, régie non par la force ou la guerre, mais par des lois effectives et par un accord mutuel visant à faire respecter la loi. Il influence de façon posthume la rédaction du traité de Westphalie (1648).
Le traité de Westphalie (ou paix de Westphalie), est un trio de traités signés en Allemagne, le 24 octobre 1648, concluent simultanément deux séries de conflits en Europe : La guerre de Trente Ans, conflit majeur qui a impliqué l'ensemble des puissances du continent dans le conflit entre le Saint-Empire romain germanique et ses États allemands protestants en rébellion et la guerre de Quatre-Vingts Ans, où les Provinces-Unies révoltées affrontèrent la monarchie espagnole.
Véritables congrès internationaux, de nombreuses puissances européennes y sont représentées. Trois traités signés à l'issue des réunions : - La paix de Münster, du 30 janvier 1648 entre l'Empire espagnol et les Provinces-Unies ; - Le traité de Münster, du 24 octobre 1648, entre l'Empereur du Saint-Empire romain germanique et la France (et leurs alliés respectifs), - Le traité d'Osnabrück du 24 octobre 1648 également, entre l'Empereur du Saint-Empire romain germanique et l'Empire suédois.
Modifiant profondément les équilibres politiques et religieux en Europe, particulièrement le Saint-Empire, ces deux traités sont aussi à la base du « système westphalien », expression utilisée pour désigner par la suite le système d'équilibre international des forces instaurées par ces deux traités.
Au XVIIIème siècle l'artillerie mobile s'est généralisée en Europe. Les canons deviennent plus réduits en calibre, plus mobiles, et standardisés. Ces calibres divers et réduits permettent l'organisation de manœuvres, de mouvements rapides sur le terrain. Le canon n'est plus une arme tactique largement immobile, une arme de siège, mais peut maintenant être mobilisé dans l’affrontement entre deux corps d'armée.
En France, à partir de 1764 et jusqu'à sa mort en 1789, Jean-Baptiste de Gribeauval réforme l'artillerie française pour en faire une artillerie moderne, efficace et standardisée.
Pour aller plus loin : https://www.musee-armee.fr/collections/explorer-les-collections/portofolios/le-systeme-gribeauval.html
Finalement, c'est l'armée républicaine de 1792 qui profitera massivement des réformes de Jean-Baptiste de Gribeauval (bataille de Valmy, 1792) puis les armées de l'Empereur Napoléon Bonaparte lors des guerres de l'Empire entre 1804 et 1815.
Un homme va synthétiser les leçons des guerres napoléoniennes : Carl Philipp Gottlieb von Clausewitz (1780-1831). Dans un ouvrage posthume, il fait la typologie des guerres et offre une grammaire pour leur compréhension et leur conceptualisation. Il définit la guerre comme : « un acte de violence dont l'objectif est de contraindre l'adversaire à exécuter notre volonté. Et il n’y a pas de limite à la manifestation de cette violence. » Pour lui, « La guerre n'est que le prolongement de la politique par d'autres moyens. »
Il met en avant les nécessités politiques de la guerre, comme la formation d'alliances ou l'adéquation des moyens de la guerres à ses fins, quitte à en changer. Mais aussi les principes de sa conduite comme la plus grande facilité pour une armée régulière à mener une guerre défensive plutôt qu'offensive, ou les nécessités d'une bonne connaissance du terrain, et le rôle des espions.
Carl Philipp Gottlieb von Clausewitz (1780-1831)
Le modèle clausewitzien basé sur des acteurs, ou belligérants, bien visibles et donc identifiables aisément est particulièrement bien adapté pour rendre compte des guerres européennes des XVIIIème, XIXème et XXème siècle.
On peut citer :
- La guerre de Trente Ans (1618-1648),
- La guerre de Sept Ans (1756-1763),
- Les guerres révolutionnaires (1792-1795),
- Les guerres menés par le Consulat et l’Empire (1799-1815),
- La guerre de Crimée (1853-1856),
- La guerre franco-prussienne de (1870-1871),
- Les Première et Deuxième Guerre mondiale (1914-1918 puis 1939-1945, voire 1937-1945 si l’on considère le théâtre asiatique de Mandchourie).
La théorie clausewitzienne est déjà moins pertinente pour rendre compte des campagnes coloniales ou des guerres civiles et de sécession. Dans ce type de conflits, on peut citer la Guerre de Quatre-Vingt Ans (1568-1648) marquée par la révolte des Pays-Bas doublée d’une guerre civile à base religieuse entre territoires catholiques du Sud et protestants au Nord, qui deviendront les Pays-Bas, la révolte de Vendée (ou Chouannerie 1792-1800, marquée par la « conspiration de la machine infernale » le 24 décembre 1800), la Guerre Civile Américaine (1861-1865).
Dans le cadre colonial, un exemple peu connu, celui des “Pavillons noirs” (en chinois Hei qi jun). Ces troupes irrégulières combattent en Indochine les troupes coloniales françaises. Les pavillons noirs, rebelles chinois commandés par Liu Yongfu (1837-1917, futur gouverneur de l’île de Formose, aujourd’hui Taïwan) et expulsés de Chine en 1864 vers le Tonkin après l'écrasement de leur révolte de 1850-1864, sont engagés par le pouvoir Annamites (Viêt-Nam) pour lutter contre des tribus montagnardes entre le fleuve Rouge et la rivière Noire. Ils arborent des bannières noires (rappelant aux européens le Jolly Roger des pirates, d’où leur nom de “pavillons noirs”), mais aussi blanches et rouges.
Après le début de la colonisation française, les Pavillons noirs harcèlent les troupes françaises sur le fleuve Rouge. Un corps expéditionnaire commandé par Henri Rivière est envoyé pour traquer ces hommes qualifiés de “pirates” par le gouvernement de la IIIème République en 1881. Les Pavillons noirs obtiennent alors le soutien de la Chine impériale et affrontent les Français au côté des troupes chinoises.
Les pavillons noir affrontent la légion étrangère lors du siège de Tuyen-Quang (province du Tonkin) en 1885.
En juin 1885, vaincus, la troupe est dissoute mais Liu Yongfu est autorisé à rentrer en Chine. Néanmoins des groupes isolés continuent à harceler les Français jusqu’en 1887.
Des penseurs contestent aussi l’ordre clausewitzien. Pour Ludendorff (1865-1937), déjà vu, la politique doit se militariser pour pouvoir conduire une guerre totale. Pour le penseur français Michel Foucault (1926-1984); il faut renverser la formule de Clausewitz et considérer que c’est la politique qui constitue une continuité de la guerre, démilitarisée mais non pacifiée. Pour Raymond Aron (1905-1983) politique et guerre constituent un unique continuum. Il ajoute que la politique change plus fortement la guerre que la guerre ne modifie le politique. Il s’appuie ici sur la formule de Georges Clemenceau (1841-1929) : “La guerre est une affaire trop sérieuse pour être laissée à des militaires”.
Le penseur allemand Carl Schmitt (1888-1885), s’intéressant à la guérilla menée par les mouvements d’opposition à l’occupation française de l’Espagne (1807-1814) met en évidence combien la guerre échappe souvent à l’idée d’un conflit bien réglé entre États souverains. Pour René Girard, dans Achever Clausewitz, paru en 2007, il ne faut retenir de Clausewitz que l’idée d’un duel de masse.
Aujourd’hui, même si les conflits actuels, entre la Russie et l’Ukraine ou l’Arménie et l'Azerbaïdjan, mettent en évidence le retour d’affrontements interétatiques classiques. La majorité des conflits contemporains sont des conflits infra étatiques : guerre civile, sécession de province.
Les deux plus grandes zones de conflits, en se basant sur le nombre de morts sont : le Moyen-Orient et l’Afrique subsaharienne. Durant la guerre froide, les gouvernements américains et soviétiques géraient leur affrontement idéologique ainsi que les affrontements secondaires naissants entre leurs alliés. Ainsi les “deux grands” surveillaient les situations conflictuelles et avaient tendance à maîtriser les éventuels dérapages. Contrairement à une idée reçue, la fin du monde bipolaire n’a pas débouché sur une explosion de violences en termes de nombre de conflits. Selon le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri, http://first.sipri.org), le nombre de conflits a diminué de moitié depuis 1989. Mais leur caractère a drastiquement été modifié : les guerres civiles, souvent ethnico-religieuses, sont plus nombreuses désormais que les conflits interétatiques.
Ainsi, le Sipri ne recensait plus de guerres interétatiques en 2007, ce qui est remis en cause aujourd'hui avec la reprise des grands affrontements régionaux, mais sur la même année, l'institution relevait 14 conflits armés avec pour enjeu le renversement du gouvernement en place ou le contrôle de territoires. Parmi ces derniers, quatre ont coûté plus de 1 000 vies par an : en Irak, en Afghanistan, au Sri Lanka et en Somalie.
En 2010-2020, c’est la Syrie, l’Afghanistan et l’Irak, puis les théâtres africains qui ont été les plus meurtriers.
Ce qui est également nouveau, c’est l'immixtion d’acteurs régionaux dans des conflits infra étatiques voisins. Ainsi, au Yémen, l’Arabie soutient le gouvernement d’obédience sunnite de Sanaa contre les rebelles houthistes, soutenu par le gouvernement iranien.
Par ailleurs, l’usage irréfréné du terrorisme marque ses nouveaux conflits (11 septembre 2001, prise d’otages de Beslan le 1 septembre 2004, attentats du 13 novembre 2015 à Paris).
Pour aller plus loin : Dix attentats qui ont changé le monde : Comprendre le terrorisme au XXIe siècle, par Cyrille Bret, 9 septembre 2020.
Pour aller plus loin : https://www.monde-diplomatique.fr/publications/l_atlas_un_monde_a_l_envers/a53907#:~:text=Parmi%20ces%20derniers%2C%20quatre%20ont,la%20violence%20(...)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire