Au bout de peut-être un mois de voyage à croupir dans notre cale au milieu des rats, humiliés et battus, nous finîmes par approcher une côte. J'ai su plus tard qu'il s'agissait de l’une des îles des Antilles.
Le pays était constitué de petites îles en archipel couvertes de plaines littorales et de forêts. Le climat était chaud, mais plus humide que chez moi, au pays Fanti (en Afrique). Le bateau fut immobilisé dans une anse. Une fois immobilisés, on nous fit aborder une plage par groupe de dix, dans deux chaloupes qui étaient venues de la rive, là encore l'attente fut longue et douloureuse, car le débarquement des hommes et des femmes se fit sans que l'on nous donne à boire, et il fallait débarqué peut-être cent hommes en comptant les marins qui nous escortait, le tout par petits groupes comme je l'ai dit. Sur la plage, quand tout le monde fut débarqué, on nous donna enfin à boire puis l'on nous rinça dans une petite rivière qui se trouvait là et qui s'y jetait dans la mer. Après cet affreux mois, la caresse de l'eau douce et tiède sur mon corps fut un ravissement. Je comprenais grâce à cette eau que j'étais encore un homme et je me souvenais des contes et de la mythologie que les anciens du village nous enseignaient. D'après eux, tous les humains, mâles et femelles, et tous les animaux descendaient d'une même déesse, une femme immense et très belle qui était sortie de l'eau d'une rivière coulant au milieu du néant primal pour y pondre l’œuf du monde dont toute la création était ensuite sortie. En immergeant mon corps je me rappelais tout ça et j'oubliais l'horreur dans laquelle on m'avait plongé. Les cris même des gardes semblaient s'atténuer et j'imaginais que cette grande femme, merveilleuse, cette déesse immense et noire me souriait.
Mamiwata, déesse fluviale, XIXe siècle, vallée du Niger
Après le bain, on nous fit mettre en rangs par quatre, puis gagner un petit port abrité dans une autre anse non loin de là, en marchant sur la plage. À plusieurs moments, quelques captifs qui avaient sans doute réussi à détendre leurs liens pendant le bain prirent la fuite en gagnant la forêt qui longeait la plage. Ils furent au nombre de sept. Sur les sept, deux seulement furent abattus avant d'atteindre la forêt, les autres réussirent à atteindre les sous-bois. Je jalousais un temps ces hommes qui avaient eu la possibilité et le courage de regagner leur liberté, au péril de leur vie car mort ou vivant, pour eux au moins le cauchemar avait pris fin.
Une fois arrivés en ville, nous fûmes rassemblés sur une place, les femmes séparées des hommes, et les enfants encore à part, certains se mirent à pleurer, à réclamer leurs parents, ils furent battus. Les gens nous regardaient aux balcons et aux fenêtres des bâtiments, qui avaient plusieurs étages, souvent. Une foule était rassemblée autour de nous. Ceux qui étaient nus furent rhabillés. Un part un, nous fûmes exhibés, les hommes séparés des femmes qui seraient vendues plus tard. On nous fit montrer les dents, lever les bras. Beaucoup de mes camarades étaient épuisés et se contentaient d'esquisser simplement les gestes demandés dans cette langue bizarre que nous ne comprenions pas.
Je comprenais que nous allions être vendu, à la manière dont les bœufs étaient vendus dans mon pays: en jugeant nos muscles, nos traits, nos dents, ce qui était apparent. Alors, même si j'étais un enfant, même si je me sentais fatigué, épuisé, même, triste et humilié, quand mon tour vint je décidais de bomber le torse, de me présenter sous mon meilleur jour. Peut-être, si j'étais vendu cher, mon futur acheteur ferait plus attention à moi? Je remarquais un blanc, dans l'assemblée, portant un habit rouge, qui me sembla riche et dont le visage me plaisait. Il discutait avec un homme vêtu d'un gilet gris, l'homme semblait moins méchant que les autres. Je pensais que cet homme et l'ami qui était avec lui, seraient peut-être, l'un ou l'autre des propriétaires d'hommes moins terribles, alors je les regardais. Au bout d'un moment, l'homme chargé de nous vendre, moi et ceux de mon groupe, remarqua que je fixais les deux hommes et me frappa violemment. Il avait dû trouver insupportable que j'ose ainsi regarder un blanc.
Cet incident fut ma chance. Car l'homme en bleu, attristé par le geste de mon vendeur me fit acheter par l'un de ses servants et placer dans un chariot garé dans une rue adjacente. On me fit donner à boire et à manger et pour la première fois, on me détacha les mains. Un homme, un noir qui parlait la même langue que moi, ici depuis plus longtemps, m'expliqua que je venais d'arriver aux Antilles, que j'avais traversé le grand océan et que j'étais maintenant "esclave".
1. Relever les mots inconnus et expliquez-les.
2. Quelles méthodes sont utilisées pour rendre les esclaves plus présentables avant de les vendre.
3. Qu'arrive-t-il à Comlan sur la place? Que décide-t-il de faire et pourquoi?
4. Où lui explique-t-on qu'il se trouve désormais.
5. Qu'est-il désormais?
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